Une équipe de sociologues de l’université de Genève (Mesure et démesure du couple : cohésion, crises et résilience dans la vie des couples de Jean Kellerhals, Eric Widmer et René Lévy.) a défini cinq styles d’équipe conjugale selon les valeurs sur lesquelles elle se construit, les territoires de son  intimité, son mode d’organisation et de gestion des conflits…

1. Le style soudé : pour le meilleur et pour le pire

Les équipiers se sont unis pour les jours bons et les jours moins bons, dans l’idée de vieillir ensemble. Ils aspirent à ne faire qu’un, partageant les mêmes goûts, les mêmes opinions. Leurs individualités se fondent dans le « nous » du couple. Ensemble, ils œuvrent pour la réussite professionnelle d’un des deux (souvent il y en a un qui ne travaille pas) et l’éducation des enfants. Le consensus est une valeur forte. Un bon couple, estiment-ils, est un couple sans désaccord.

Chez les « soudés », on s’attache à réduire les motifs de discorde. La vie est faite de rites – il y a un temps et un espace pour tout – et le rôle de chacun bien défini. Plus qu’ailleurs, on trouve assez naturel de calquer la répartition des tâches sur la différence des sexes : la femme assume l’essentiel des responsabilités domestiques tandis que l’homme gagne l’argent du ménage. Néanmoins, les conjoints prennent leurs décisions à deux.

2. Les « associés » : restons autonomes

Ce qui soude ce couple, c’est paradoxalement l’importante autonomie que les conjoints s’accordent. Dans le style association, on partage l’idée que l’on sera d’autant plus heureux à deux que chacun pourra s’épanouir individuellement en poursuivant ses propres projets et idées. Se sacrifier pour le Nous est perçu comme un échec pour soi comme pour la relation.

Ici, chacun aspire à être complet, à se réaliser sur plusieurs terrains à la fois (professionnel, conjugal, parental, civique, culturel…). On refuse donc par principe toute organisation fondée sur la différence sexuelle et l’on cherche surtout à se répartir les corvées de manière égale. La communication est dès lors une aptitude indispensable pour faire valoir ses émotions, ses intérêts. Pourvu que l’on soit consentant, tous les arrangements sont possibles et ce dont on convient aujourd’hui peut être révisé demain.

3. Le style « nid douillet » : seuls contre tous

Chez les « nid douillet », on se cajole beaucoup, on se coucoune. L’objectif des conjoints est de se prodiguer tendresse, soutien et distractions en réponse aux difficultés de l’existence. Ensemble, ils construisent un nid intimiste qu’ils préservent le plus possible de l’agitation du monde. Leur relation est fusionnelle. Ils ont un grand sentiment de sécurité apporté par leurs activités communes et la similitude de leurs goûts.

La répartition des tâches se fait sur un mode égalitaire. Tour à tour, chacun s’occupe des repas, du ménage, des enfants. Et tous deux ont des jobs, en fonction de la conjoncture. Plus encore que les femmes, les hommes se réfugient dans la bulle et les rituels domestiques pour compenser les frustrations du quotidien.

4. Le style parallèle : ensemble, à défaut de mieux

C’est le style qui s’éloigne le plus des représentations que l’on se fait d’un couple heureux. Ici, comme dans le genre association, chacun a son propre rythme, ses propres activités. Mais ce mode de vie parallèle est surtout issu d’une certaine indifférence des conjoints l’un à l’autre. Chacun s’adonne à ses centres d’intérêt, traverse ses états d’âme de son côté. Au fond, on n’est ensemble que parce que l’on ne peut pas faire autrement.

La différenciation des tâches atteint ici son apogée. La femme s’occupe seule de l’ordre et de la propreté du foyer. L’homme attend d’elle un appui logistique pour ses activités extérieures. Il a souvent un dur labeur, ne sait accomplir aucune des corvées dont elle a la charge et réciproquement. Leur besoin l’un de l’autre n’a rien de sentimental.

5. Le style « compagnons » : la communauté d’abord

Le couple « compagnons » a fait alliance pour longtemps. Il a admis une fois pour toutes l’idée d’un destin commun et la vie de chacun des conjoints se confond avec celle de la famille qu’ils ont fondée. Ici encore, la relation est fusionnelle, on revendique sa ressemblance et on a peu de jardins secrets. Ce qui différencie le couple « compagnons » des « soudés » et des « nids douillets », c’est l’importante participation des deux conjoints dans la vie de la communauté ou leur bande d’amis.

Comme dans le style « associés », on privilégie ici la souplesse de fonctionnement à la définition de règles ou de rituels. Les horaires et les attributions de chacun s’adaptent aux projets du moment. Chacun est en mesure de pourvoir aux différents besoins du foyer, l’interchangeabilité des conjoints étant un gage d’évolution. Mais dans cette formule-ci, contrairement au style association qui valorise les projets personnels, l’intérêt collectif passe toujours en premier. Pour la famille ou la communauté, chacun est prêt à faire quelques sacrifices : déménager par exemple, ou interrompre momentanément sa carrière pour faciliter celle du conjoint ou élever les enfants…

 


Une relation qui se travaille

Pour Jean Kellerhals, dans la réalité, la vie du couple au  quotidien ne coule pas de source du simple fait que l’on s’aime, la relation se travaille. C’est une construction à plusieurs étages, un projet plus qu’un don du ciel. Même les plus romantiques doivent composer avec des enjeux qui le sont beaucoup moins : la distribution du pouvoir, des espaces, des ressources… ». Prendre conscience de ces multiples facettes vous permettra peut-être, en cas de difficulté, de retravailler certains détails plutôt que d’envoyer valser le tout. Comment choisit-on le modèle sur lequel on construit sa relation ? « Dans l’ensemble, il varie avec l’âge, les projets, le milieu social des conjoints », explique le sociologue. Votre cocktail personnel peut emprunter à un style ou à deux styles à la fois. Quoi qu’il en soit, « le mode de vie d’un couple a tendance à se fixer rapidement, indique encore le chercheur. Il se modifie souvent avec l’arrivée du premier enfant – on peut passer du modèle association au modèle compagnonnage par exemple – mais il ne change plus après. » A moins d’une profonde remise en question.

Existe t-il un modèle idéal ?

Non ! « Chaque style conjugal comporte son lot de plaisirs et de désagréments, nuance Jean Kellerhals. Mais de l’avis des couples interrogés, si aucun ne garantit le bonheur à coup sûr, certains semblent pouvoir apporter plus de satisfactions que d’autres. » En tête de liste : le style compagnonnage. C’est dans cette configuration que l’on se sent le plus aimé, respecté, soutenu et que l’on se réjouit le plus de sa connivence et des projets que l’on mène ensemble.

A l’inverse, dans le style parallèle, l’ambiance touche parfois au sinistre. On s’emporte facilement, on s’accuse, on se menace, ou bien on s’ignore. Entre les deux, chez les « bastion » et les « cocon », le ciel n’est pas sans nuage mais, dans l’ensemble, on est plutôt satisfait. Quant au style association, qui s’est le plus développé au cours de ces dernières années, il offre une réalité contrastée : « D’un côté, c’est la formule qui respecte le mieux la singularité et les projets de chacun. En ce sens, elle porte des promesses d’épanouissement inégalées, argumente le sociologue. Mais de l’autre, parce que chacun tente de faire valoir ses intérêts, on négocie sans arrêt, on se dispute beaucoup et on se sépare souvent. » Quitte ou double. Cela dit, « le succès de l’entreprise conjugale dépend moins de la forme que du fond ». Autrement dit, quel que soit le style, il faut vouloir – et pouvoir – surmonter à deux les épreuves de l’existence.

« L’aventure conjugale est périlleuse, mais elle n’est pas impossible. Pourvu que l’on s’en donne les moyens » affirme Jean Kellerhals.

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